Le masque et le visage
Que de fois on entend dire : « Il ne faut pas juger les gens sur les apparences » et un proverbe plus populaire dit : « L’habit ne fait pas le moine » (ce n’est pas sur l’extérieur qu’il faut juger les gens). La Fontaine met ses lecteurs en garde : « Garde toi tant que tu vivras de juger les gens sur la mine ». Vauvenargues, en revanche, dit : « La physionomie est l’expression du caractère et celle du tempérament ». C’est-dire que la façon de juger les gens est assez contredite. N’y a-t-il pas, cependant, une vérité derrière ces deux visions ? S’il ne faut pas juger les gens sur les apparences, sur quoi alors peut-on les juger ?
« Il ne faut pas juger les gens sur les apparences, mais sur les actes » disent nombres de gens. Pourtant, lorsqu’ils ouvrent le journal à la rubrique des faits divers et qu’ils voient la photo d’un mauvais garçon ils s’écrient : « Avec une tête pareille, ce n’est pas étonnant ! ».
Il est reconnu que des patrons engagent des personnes sur la mine, plutôt que d’après les compétences souhaitées. Certains réussissent ou échouent dans la vie professionnelle par le simple fait, qu’en dehors de leurs compétences certaines, leur physique n’a pas « collé » à l’emploi proposé ou déplu à leur employeur. C’est parfois injuste, mais plus courant qu’on ne le pense.
De même, certains se fourvoient dans leur vie sentimentale parce qu’ils ont jugé sur les apparences. Intuitivement, sur une impression, certains jugent les autres et sont jugés à leur tour. Or, l’intuition seule dans ce domaine est dangereuse : le proverbe n’a-t-il pas raison de dire qu’il ne faut pas juger les gens sur les apparences ?
Il n’en est pas toujours ainsi. Sur les apparences, des professionnels du « coup d’œil », c’est-à-dire des psychologues, psychiatres, commissaires, spécialistes des tests projectifs, morpho-psychologues – certains célèbres comme Paul Carton, Léon Vannier, Louis Corman et André Passebecq – obtiennent des résultats que confirme la vérité. Ces gens ont l’habitude d’observer, d’analyser, d’interpréter. Ils peuvent évaluer avec justesse les apparences.
Si nous ne jugeons pas les autres sur ce qui se présente immédiatement à la vue, nous les évaluons alors sur les actes ou sur les intentions. Mais les actes révèlent-ils toujours le fond de la personne ? On peut mal se conduire en croyant cependant bien agir.
La noblesse d’âme n’est pas liée à une profession, à un niveau d’instruction ou une classe sociale : les âmes nobles se trouvent dans les conditions les plus humbles comme dans les classes les plus aisées.
La grandeur d’âme exige que l’on soit à la hauteur de la fonction et elle dépend entièrement de la valeur personnelle : honnêteté, distinction, dépassement de soi, générosité, sens du beau et du grand, gentillesse, dignité.
Or, ces valeurs ne sont pas liées à une condition particulière, elles se trouvent dans toutes les professions et classes sociales et sont par conséquent fonction exclusive du facteur de valeur personnelle.
Pour bien discerner, il convient donc d’examiner attentivement afin de donner toutes leur valeur aux qualités profondes de l’individu, d’observer pour ne pas nous laisser aveugler par certains facteurs qui peuvent cacher l’être réel, tout en reconnaissant qu’en général l’âme rayonne sur la physionomie.
Nous sommes pratiquement obligés d’évaluer les gens sur les apparences. Mais comme le dit Joubert : « Quoi qu’on dise, c’est au visage qu’il faut regarder les hommes ; mais il ne faut pas prendre leur masque pour leur visage ».